Témoins d'une société honteuse
Elle
Le rêve et la bonne humeur se transmet si facilement quand je croise la clarté pigmentés de ses yeux bleus. Tout a toujours été si facile avec elle. Puis elle me regarde à son tour, un habituel sourire de petite fille parcours son visage. J'aimerai lui dire qu'une fois notre café terminé nous retournerons à la maison. J'aimerai lui dire que la chaleur de la cheminée guidera mes bras qui saurons la serrer. J'aimerai lui dire que je l'aime dans la cuisine, dans le salon ou encore dans la chambre. Mais voila, nous sommes à la rue depuis trois ans.
Je sais que si nous sommes aujourd'hui encore en vie c'est grâce à notre amour. Elle le sais aussi puisqu'elle est comme moi. Ça n'est plus la peur qui maintenant nous anime, ça n'est pas non plus la honte. Simplement la haine. La haine contre nos parents et contre tout ces gens qui nous regardent crever sans jeter un centime. La drogue est rentrée dans nos veines, l'alcool a longtemps coulé dans nos gorges et le bitume nous a déformés. Ce temps est aujourd'hui révolu.
Toujours le sourire aux lèvres elle sait ce qu'il l'attend. Je sonde mes poches trouées à la recherche de derniers centimes pour payer l'addition. Puis ma main vient se caler dans la sienne, je l'accompagne vers un avenir incertain, c'est tout ce que je peux lui offrir. Le bleu de ses yeux se noient dans les larmes, je ne la regarde pas et continue de marcher, sa main dans la mienne. Puis elle me jette un rire nerveux et crispé, comme pour me dire "je vais bien ne t'en fais pas".
Plus que quelques mètres, je la prend dans mes bras pour la porter au bord de ce pont. Nous sommes maintenant cote à cote à deux doigts de la liberté. Un dernier regard complice, un dernier sourire enfantin et on se jette dans les bras de l'éternité.